mercredi, octobre 12, 2005

Etrange Monsieur Lugan.

Les discours de président de République qui prennent la peine dans une allocution à un sommet international organisé par les nations unies de dénoncer les écrits d’un historien sont rares pour être soulignés. Les historiens qui prennent le temps de se déplacer en temps que témoin pour défendre un génocidaire devant un tribunal pénal international sont peu nombreux pour être soulignés.

Une éloquence et un franc parler qui tranchent avec les universitaires habituels font de lui un enseignant apprécié par ses étudiants d’histoire de l’Université Jean Moulin Lyon III. Editorialiste radio, il commente l’actualité africaine sur Radio Courtoisie et est plébiscité par ses auditeurs. Lors du repas des auditeurs du dimanche 7 novembre 2004 à la Mutualité dans le 5ème arrondissement de Paris, les dirigeants de la radio reputée pour sa ligne d’extrême droite ont salué la popularité de Bernard Lugan comme éditorialiste sur les questions africaines.

Devant ses étudiants d’université de deuxième et troisième année et lors de ses interventions en conférence, Bernard Lugan ne rechigne pas à utiliser des expressions et attitudes imagées. Maniant la métaphore, il qualifie les fondements du génocide rwandais comme « une opposition de la houe et de la vache » se contentant de la thèse du face à face « éthnico-racial ». Parlant du génocide du peuple héréro perpétré par les Allemands en Namibie en 1904, il présente les assasinats perpétrés par des colons allemands pour faire face à la « sauvagerie » des milliers de victimes. En 1991, le jour du mardi gras, il s’habille en habit colonial et fait étudié des chants militaires coloniaux. Se délectant de ses propos, il aime à répéter à son auditoire que « l’Asie est une fourmilière en action, alors que l’Afrique est une fourmilière au repos ».

Sa carrière universitaire est jalonnée par la publication de nombreux ouvrages et articles. Il publie beaucoup sur l’histoire de différentes régions de l’Afrique : Afrique du Sud, Maroc, Egypte, Rwanda... Chacun de ses ouvrages présente un arsenal de cartes documentées et a vocation à traiter l’ensemble de l’histoire d’un pays. Les sujets et les périodes historiques qu’ils abordent sont éclectiques. Il traite des huguenots français leur attribuant la fondation de l’Afrique du Sud mais aussi des causes du génocide rwandais. Ces écrits sont critiques sur la gestion de l’Afrique du fait du primat de l’idée démocratique et du fait des politiques humanitaires occidentales. Son ouvrage récent sur le génocide rwandais dénonce les excès de l’Eglise rwandaise et des institutions démocratiques en place dans la région des grands lacs. Il est en revanche peu critique sur les excès de la colonisation et relit la période coloniale sous un jour favorable. Citant la thèse du célèbre historien de l’économie Jacques Marseille, professeur à la Sorbonne, il estime que la colonisation n’a pas de fondement économique et mais un but politique.

Avec une grande constance, les écrits de Bernard Lugan font état d’une lecture de l’histoire et de la géopolitique de l’Afrique qui surestime le fait ethnique. « En Afrique, les problèmes sont en effet d’abord ethniques, culturels, politiques, etc. Nous sommes face à des sociétés communautaires ignorant la notion d’individu » affirme t-il à un média africain à propos de la crise en Côte d’Ivoire. Ses analyses écrites ou radiophoniques sont centrées sur cette réalité ethnique. En février 2005 sur Radio Courtoisie, il atteste que la crise politique au Togo a une origine essentiellement ethnique en reléguant le fait politique au rang des arguments accessoires.

Ces conceptions sont diffusées dans l’université lyonnaise dans laquelle il enseigne l’histoire de l’Afrique, mais aussi dans la presse et par le biais de conférences. Les cercles d’universitaires africanistes lui sont ouvertement hostiles. En témoigne une pétition condamnant et critiquant ses travaux, signée par tout ce que le monde universitaire français compte de spécialistes de l’Afrique. A leur tête, Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherches au C.N.R.S. et membre du Centre de recherches africaines de l'université Paris I, spécialiste de l’histoire du Burundi et du Rwanda, a rédigé plusieurs articles montrant que les thèses soutenues sont empruntes de négationisme. Ses collègues africanistes, Bernard Lugan ne les porte pas dans son cœur estimant qu’« en France, la compétence n'est pas reconnue, il faut être pédé, franc-maçon ou syndicaliste de gauche pour progresser » (Le Monde, 8 octobre 2001). L’africaniste Jean-Pierre Chrétien s’est vu décerné par le Club de l’horloge, cercle d’intellectuels proche de l’extrême-droite, le prix Lissenko du nom d’un scientifique fantoche à la solde de l’Etat soviétique. Le discours de remise du prix a été rédigé par un de ses membres : Bernard Lugan en personne. Dans le monde universitaire, seul l’historien Emmanuel Leroy-Ladurie de l’académie des sciences morales et politiques lui consacre une note de lecture favorable dans le Figaro Littéraire pour son ouvrage sur l’histoire du Maroc en juin 2000.

Sa relative marginalité dans le monde universitaire n’empêche pas ses travaux d’être mentionné dans les médias. Longtemps présent dans les seuls articles de journaux d’extrême droite Minute et Présent et dans des articles du Figaro et du Figaro Magazine, la majorité des bibliographies sur l’Afrique mentionne désormais ses ouvrages sans en préciser la teneur. Bernard Lugan est ainsi sollicité pour des conférences. Par exemple, il donne des conférences à l’institut des hautes études de la défense nationale en octobre 2002 et en mars 2003 sur le NEPAD et sur l’Afrique Subsaharienne. Le 3 mai 2004, il est invité à New York par l’Institut de renom « Council on Foreign Relations » pour une table ronde sur la résolution du conflit du Sahara Occidental avec des experts des universités américaines et une représentante du secrétariat des nations unies. Le 12 octobre 2004 devant l’association Association Réalités et Relations Internationales, association qui est parrainé par la Caisse des dépôts et consignation et EDF, il expose l’histoire du génocide rwandais.

L’auteur est aussi présent dans les milieux catholiques intégristes. Il donne des conférences devant les cercles de catholiques traditionalistes proche de l’évêque excommunié Monseigneur Marcel Lefebvre et fréquente l’église de Saint Nicolas du Chardonnay à Paris. En juillet 2004, il publie dans le numéro relatif à l’Islam de la revue de l’association catholique traditionaliste « Renaissance Catholique » qui « lutte contre l’avortement et défend les valeurs chrétiennes ».

Proche du Front National, il est membre du conseil scientifique du parti en 1993. Son engagement militant a commencé à Nanterre où, étudiant en histoire, il participe à Nanterre à la fédération nationale des étudiants de France au début des années soixante-dix, syndicat étudiant dans lequel se sont activés Bruno Gollnisch, l’actuel numéro deux du front national, et Patrick Buisson, directeur du service politique du journal Le figaro en 1999.

Dans la continuité de ses études sur l’Afrique, il intègre en 1972 l’université de Butare au Rwanda en tant que coopérant enseignant d’histoire et géographie. De 1972 à 1982, il a le temps de soutenir une thèse de troisième cycle d’économie rwandaise au XIXème siècle en 1976 à l’université de Provence et de mener diverses recherches. En juin 1982, le Ministère de la Coopération suggère alors aux universités françaises de le recruter. Il quitte le Rwanda pour intégrer l’université Lyon III ou il est titularisé. Son départ du Rwanda s’est fait dans des conditions assez obscures. Ce départ a fait l’objet d’une décision de justice du Tribunal administratif de Lyon le 19 janvier 1984. Le ministère des relations extérieures estime que le rapatriement de Monsieur Lugan est justifié par une demande du gouvernement rwandais de l’époque. Le gouvernement rwandais, bien que le ministère français n’en apporte pas la preuve suffisante devant le juge, aurait estimé que le comportement de l’intéressé est incompatible avec ses fonctions de coopérant et de nature à nuire aux relations de la France et du Rwanda. En absence de preuve, Bernard Lugan gagne son procès devant le tribunal administratif. Entre-temps, en 1983, il soutient une thèse de lettres intitulée « entre les servitudes de la houe et les sortilèges de la vache. Le monde rural dans l’ancien Rwanda » à l’université d’Aix en Provence.

Quelles sont les mystérieuses raisons invoquées par le ministère des relations extérieures mais qui ne sont pas apportées au juge ? Quel type de comportement a eu Bernard Lugan à l’université nationale du Rwanda de Butare dans le Sud du Pays qui aurait pu inciter le gouvernement rwandais de l’époque à l’éloigner ? Aucun document ne semble de nature à apporter des informations.

Bernard Lugan a eu pour collègue à l’université national du Rwanda de Butare le professeur Vincent Ntezimana qui a été condamné à douze ans de réclusion en Belgique pour avoir dénoncé et fait exécuter des collègues et certains employés tutsis de l’université de Butare en fournissant les listes et en supervisant des assassinat sous le chef d’accusation de crime de guerre pendant le génocide en 1994. Ce dernier a passé six années à l'Université Catholique de Louvain en Belgique ou il a passé un troisième cycle puis un doctorat. Il aurait été un des auteurs du manifeste bahutu : le fameux texte qui détermine en dix point le programme politique des hutus et qui est le fondement intellectuel du génocide. Le professeur d’histoire Ferdinand Nahimana travaille aussi à l’université à la même période. Idéologue en vue parmi l'élite qui entourait le président rwandais Habyarimana, Ferdinand Nahimana est cofondateur de la Coalition pour la défense de la République (CDR), parti hutu ouvertement génocidaire. Il était également membre du groupe connu sous le nom de «Hutu Power». Entre 1979 et 1994, Nahimana a écrit et publié des articles qui montaient la population contre les Tutsis et les Hutus modérés et qui prônaient la supériorité des Hutus originaires du nord. Licencié de la radio nationale rwandaise avant le génocide pour cause de diatribe haineuse, en 1993, il a participé en tant que membre du «comité d’initiative» à la création de la Radio Télévision Libre des Mille collines (RTLM), dont il est devenu le directeur de fait. Il sera reconnu coupable et condamné à l’emprisonnement à vie par le tribunal pénal international du Rwanda pour le crimes d’entente en vue de commettre un génocide, le crime de génocide, le crime d’incitation directe et publique a commettre un génocide et le crime contre l’humanité en tant que persécution et extermination. Bernard Lugan l’a-t-il rencontré lors des dix ans passés à l’université de Butare ? L’enseignant français travaille à la même époque sur la même question : l’église catholique au Rwanda au cours du XXème. En mars 1978, il publie dans le même numéro spécial « Eléments d’histoire du Rwanda » de la revue Etudes rwandaises sur le même thème : « L'église catholique au Rwanda 1900-1976 » alors que Ferdinand Nahimana publie un article intitulé « Les missions catholiques et l'enseignement au Rwanda de 1917 à 1931 ». Ces coïncidences n’attestent rien…

En novembre 2003, Bernard Lugan fait une intervention devant le Tribunal Pénal international pour le Rwanda (TPIR) en tant que témoin cité par la défense. Il se déplace pour défendre le ministre des finances au sein du gouvernement intérimaire du Rwanda entré en fonction le 8 avril 1994 le surlendemain du déclenchement du génocide, Emmanuel Ndindabahizi. Ce dernier répond alors devant le Tribunal pénal international de trois chefs d'accusation pour génocide et crimes contre l'humanité, après des massacres de Tutsis dans sa province natale de Kibuye (ouest du Rwanda). Le 20ème accusé du tribunal international d’Arusha a perpétré des exécutions dans son village natal, offert de l’argent et distribuer des machettes aux assaillants. Il est intervenu pour inciter les maris hutus à tuer leurs femmes tustis pour éviter qu’elles les empoisonnent. Au cours de son intervention devant la chambre, Bernard Lugan tente de disculper l’ex-ministre en déclarant que "Ndindabahizi a accepté ce portefeuille pour sauver sa peau". L’ex-ministre né en 1950 a obtenu un bachelor d’économie et de sciences sociales en 1974 à l’université de Butare. L’université même ou Bernard Lugan a enseigné de 1972 à 1982. A-t-il été un élève âgé presque du même age de son enseignant à l’Université de Butare ? Emmanuel Ndindabahizi, ancien ministre des finances a été reconnu coupable des faits reprochés et est condamné pour assassinat, génocide, et extermination en tant que crime contre l’humanité et condamné à l’emprisonnement à vie par le tribunal pénal international le 15 juillet 2004.

Bernard Lugan a côtoyé l’élite du « hutu power ». Quelle relation a-t-il entretenue avec les futurs cadres du génocide au sein ou par le biais de l’Université ? Les témoins tutsis présents à l’époque, enseignants et personnels administratifs ne peuvent pas répondre. La majorité d’entre eux sont morts. Des tutsis sont bien revenus enseigner à l’Université nationale du Rwanda de Butare. Ils ont remplacé les postes vacants d’enseignants de l’Université. Issus de la diaspora et venant principalement de l’Ouganda, ils ne peuvent apporter aucun renseignement.

Lors du sommet des Nations Unies contre le racisme à Durban en 2001, le Président du Sénégal Abdoulaye Wade a dénoncé le racisme intellectuel qui est le fait de certains historiens qui donnent une fausse interprétation de l'histoire en affirmant que toutes les thèses soutenues par des écrivains africains ne sont pas fondées et que la contribution des Noirs à l'histoire de l'Afrique est dérisoire. Le président sénégalais n’a pris la peine de citer qu’un nom : celui de l’étrange Monsieur Lugan.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Vous devriez aussi faire les pissotières pour savoir si Lugan n'est pas diabétique.

3:04 PM

 

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